Comprendre le rapport à la religion
Nous avons déjà abordé ici et là la question religieuse dans ce pays. Il est temps d’en donner une image plus globale ou une meilleure compréhension.
Dès avant les débuts de l’empire (IIIe siècle avant JC), trois « systèmes de pensée » (nous ne débattrons pas ici de la différence entre philosophie et religion) se faisaient concurrence : le confucianisme, le taoïsme et le légisme. A ceux-ci viendront s’ajouter le bouddhisme dès le Ie siècle après JC et surtout à partir du VIIe siècle. Les religions monothéistes arrivant beaucoup plus tard (l’Islam via la Route de la Soie arrivant au VIIe siècle sous la dynastie Tang, à peu près en même temps que le christianisme qui s’est surtout implanté sous la dynastie Yuan – mongole – via les missionnaires à partir du XIIIe siècle; le judaïsme semble aussi être arrivé part la Route de la Soie mais vers le IXe siècle – les Juifs de Kaifeng mais cette histoire est très peu documentée).
Le taoïsme se caractérise par un attachement à l’ordre naturel des choses, à l’harmonie de l’univers notamment dans l’équilibre de ses contraires, le Yin et le Yang. Un temple taoïste sera, typiquement, peuplé d’une multitude de dieux ou d’esprits parfois plus ou moins démoniaques, représentant les différentes forces de la nature. Le taoïsme fut considéré comme la religion du petit peuple, pleine de superstitions et dénigrée par l’élite. Cependant, le terme « harmonie » est encore très présent dans les différents discours du leader.
Avec le bouddhisme, nous montons d’un cran dans les classes sociales (et lors de certaines dynasties, le bouddhisme fut quasi religion d’État). Le bouddhisme chinois appartient principalement à la tradition Mahayana, qui met l’accent sur la possibilité pour tous les êtres de parvenir à l’éveil et souligne le rôle des bodhisattvas, des êtres éveillés, qui restent dans le cycle des réincarnations pour aider les autres à atteindre l’éveil. La méditation et le culte des ancêtres, encore très présents aujourd’hui.
Le confucianisme, avec un accent fort sur l’éducation et la morale des élites, fut longtemps la « religion » des lettrés, essentiellement des fonctionnaires de l’Empire, éduqués, sachant lire et écrire et passant les nombreux examens de l’État.
Le légisme quant à lui est une doctrine développée durant la période des Royaumes combattants juste avant le premier Empire (qui commence en 221 avant JC). Cette doctrine met en avant la Loi, un État fort et centralisé. Le bien-être de l’État est prioritaire et toutes les politiques sont évaluées sur leur utilité pratique à renforcer le pouvoir de l’État et à maintenir l’ordre. Cette doctrine fut critiquée sous la dynastie Han mais au risque, assumé, de faire un anachronisme, je dirais que cette doctrine a toujours une place de choix dans la pensée du pays avec juste le Parti à la place de l’État (ou confondu avec celui-ci).
Toute cette introduction pour dire encore un mot de la place de la religion (ou des systèmes de pensée) dans ce pays…
L’État communiste commence par lutter contre toutes les religions pendant les années 1950, puis les interdit pendant la révolution culturelle (1966-1976) avant de graduellement mettre en place un système de liberté sous contrôle avec l’arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir au début des années 80.
Les trois « religions traditionnelles » (taoïsme, confucianisme et bouddhisme) sont depuis tolérée par le régime et ont globalement survécut jusqu’à aujourd’hui. Pourquoi ont-elles survécut et sont-elles tolérées ? Parce qu’elles n’implique pas de transcendance au contraire des trois grandes religions monothéistes. Elles acceptent toutes les trois que l’État (le Parti) soit au-dessus d’elles, de l’individu et de leurs dieux (s’agirait-il d’un héritage du légisme ?).
Au contraire, les trois grandes religions monothéistes impliquent une transcendance : Dieu (Allah ou Yahvé) est au-dessus de tout et ses fidèles Lui sont d’abord inféodés ou fidèles avant de l’être à quoi que ce soit d’autre. Le Parti (et le légisme qui a, selon moi, sous-tendu toute la pensée politique chinoise jusqu’ici) ne peut admettre cela. Il ne peut pas non plus admettre qu’une autorité externe (la Pape, par exemple) puisse supplanter son avis.
Ceci explique certainement en grande partie pourquoi les trois grandes religions monothéistes n’ont pas pu s’implanter fortement dans ce pays alors qu’elles ont conquis les autres continents.
Donc pour comprendre le rapport du peuple ici avec la religion, il est important de comprendre ce rapport : l’État (le Parti) est au-dessus de tout ; aucune religion ne peut le supplanter ; le peuple peut continuer à avoir ses « superstitions » pour autant qu’elles ne mettent pas ce grand principe en cause.