En guise de conclusion

Paradoxe

Comme il s’agit sans doute de ma dernière publication dans ce blog, quittant définitivement ce pays, j’aimerais tirer une conclusion toute relative et personnelle sur ce pays et cette conclusion tient en un mot : « paradoxe« .

Tout ici est paradoxe.

Des rues hyper-propres mais des gens qui crachent par terre et jettent n’importe quoi.

Une culture riche et pluri-millénaire mais peu d’authenticité dans la façon de la mettre en valeur.

Un Parti-État qui se dit communiste mais un pays qui semble le paradis du capitalisme à outrance.

Des gens qui se disent heureux et libres (suivant certains sondages) mais nulle part on se sent aussi surveillé qu’ici (caméras par milliers même dans les coins perdus et patrouilles de police partout) et les gens n’affichent absolument pas leur bonheur sur leur visage…

Un pays à la pointe de la technologie mais où l’on communique encore principalement par fax avec le autorités et où l’on sort de la banque avec des dizaines de papiers tamponnés (le cachet ayant plus de valeur qu’une signature manuelle).

etc.

ceci dit, ce fut pour moi une expérience unique dans une vie que je ne regrette absolument pas même si professionnellement elle fut complexe et s’est terminée de façon abrupte et peu « diplomatique ».

Découvrir quelque peu cette culture, ces gens tellement différents de nous et puis vivre « de l’intérieur » une dictature… Ce fut unique.

J’espère que vous aurez eu plaisir à lire ces quelques pages.

Ces gens-là – 24

Rapport tragique avec le Japon

Émotion à Shenzhen, le 18 septembre : à environ 200 mètres de l’école japonaise, un écolier japonais âgé de 10 ans a été mortellement frappé au couteau par un Chinois de 44 ans (le jeune garçon est mort de ses blessures le jour d’après). La date n’est pas anodine puisque c’est le 18 septembre 1931 qu’a eu lieu l’incident de Mukden (aujourd’hui Shenyang), que la Chine considère comme marquant le début de l’invasion japonaise de la Mandchourie, aujourd’hui au nord-est de la Chine. Connaissant le tropisme chinois pour la construction sociale du trauma mémoriel, [..].

Ce que je voudrais souligner ici c’est cette notion de tropisme chinois pour la construction du trauma mémoriel. C’est une expression très compliquée mais qui me semble bien exprimer quelque chose du pays : une tendance, une volonté je dirais même, de la part du parti-gouvernement, de rabâcher les traumatismes historiques et d’entretenir cela dans la mémoire collective. On en voit les conséquences dramatiques ici avec le souvenir de la guerre sino-japonaise (1931 pour les débuts de l’invasion de la Mandchourie mais surtout 1937-1945) mais on en subit également toujours les conséquences en occident avec ce rabâchage par Mr X des traumatismes du XIXème siècle, des humiliations subies par ce pays de la part des puissances occidentales (plus la Russie et le Japon) durant ce siècle.

Alors, est-ce le reflet d’un traumatisme personnel de Mr X ou quelque chose de plus fondamental dans la culture de ce pays ? Sans doute les deux.

En creusant un peu (et oui, mes réflexions ne sont pas toujours « premier niveau », je tente de les alimenter…), par rapport aux fondamentaux de la culture, si les religions se sont éloignées du peuple à certains moments de l’histoire (notamment récente), le culte des ancêtres est resté un fondamental contre vents et tempêtes et donc la mémoire du passé (trafiqué ou pas, haï ou pas) est culturellement important. Est-ce le fait d’un « vieux » pays qui a construit son roman national historique sur plusieurs millénaires ?

Il me semble clair également que ce type de régime, dictatorial, se doit de construire ce roman national fort avec des ennemis externes clairement identifiés ou identifiables. C’est sans doute une des caractéristiques indissociable de ce type de régime.

Bien sûr, dans ce cas précis, le Japon est loin d’être tout blanc. Je crois avoir déjà souligné le fait qu’il n’y a pas eu de changement fondamental de régime après la guerre (au contraire de l’Allemagne), il n’y a jamais eu d’excuses officielles, voire de reconnaissance des faits (certains manuels d’histoire japonaise parlent toujours de « avancée japonaise en Chine » et non d' »agression »), …

L’art occidental en Chine

Petit détail en lien avec la difficulté de compréhension de l’Occident par les Chinois et leur méconnaissance de notre monde, l’art occidental (autre que contemporain) n’existe pour ainsi dire pas en Chine aujourd’hui. Aucun musée public ne lui est consacré. Les quelques musées qui présenteraient des œuvres occidentales contemporaines, le font grâce à des des achats spectaculaires d’artistes internationaux par des oligarques chinois surtout désireux de montrer leur puissance économique. Il n’y pas de collections constituées par des conservateurs-scientifiques.

Les musées d’art ne sont d’ailleurs que très rarement dirigés par des conservateurs chinois qui pourraient faire un programme indépendant des intérêts économiques et politiques des propriétaires. Quand un musée d’art comprend une collection d’art chinois et international quelque peu ordonnée comme dans les musées occidentaux, c’est sous la direction de personnalités européennes comme à P3kin où le Belge Guy Ullens a créé en 2007 le premier centre d’art contemporain, l’UCCA (Ullens Center for Contemporary Art – dans le quartier 798), qui a été dirigé par le critique d’art français Jérôme Sans, puis par l’Américain Philip Tinari.

En Europe, « grâce » notamment au pillage du XIXème siècle, nous avons plus facilement accès à l’art Chinois (BnF, Musée Guimet et musée Cernuschi à Paris, British Museum, Victoria & Albert Museum à Londres, Museum of East Asian Art dans le Somerset, Musée des Arts d’Asie orientale à Cologne, Musée Art & Histoire à Bruxelles, etc.)

Ces gens-là – 23 – Ecriture

Encore un mot sur l’écriture

Malgré mes presque deux ans ici, mon niveau de langue n’est pas du tout à la hauteur de mes espérances. Cependant, voici quelques infos sur l’écriture.

Certaines et certains d’entre vous se souviennent peut-être de nos beaux cahiers à lignes : deux lignes rapprochées, une plus haut et une plus bas, pour nous apprendre à tracer de belles lettres. Ici, pas de cahiers à lignes mais des cahiers à carrés. En effet, chaque caractère peut s’inscrire dans un carré et la plupart des traits en suivent soit les médianes soit les diagonales.

L’écriture d’un caractère se compose d’un certains nombres de traits. Il y en a six de base qui ont chacun un nom. Ils peuvent s’accompagner d’un crochet ou d’une brisure, ce qui nous fait pas mal de combinaisons (une bonne trentaine).

Le caractère yong (éternel) reprend tous les traits de base :

L’art de l’éphémère : calligraphie à l’eau sur le sol

Même s’il existe quelques règles de base, l’ordre de tracé des traits est assez complexe :

  1. Du haut vers le bas…
  2. Trait de gauche, puis trait de droite…
  3. Trait horizontal puis le vertical qui le coupe…
  4. Trait vertical à gauche avant trait complexe à droite…
  5. Trait central avant les « ailes »…
  6. Le trait horizontal « socle » d’en bas en dernier…
  7. Trait tombant vers la gauche puis celui tombant vers la droite…
  8. Point flottant en dernier.

Avec des exceptions, bien sûr, et auxquelles il faut ajouter deux petites règles :

  1. Lorsqu’un caractère est composé de plusieurs sous-unités, on termine chaque sous-unité avant de passer à la suivante…
  2. … sauf si une sous-unité encadre les autres, dans ce cas, on ferme l’encadrement en dernier.

Voilà, il n’y a plus qu’à…

La notation musicale traditionnelle

Je n’ai pas vraiment abordé le sujet de la musique de ce pays, notamment pas celui de la musique traditionnelle. Et donc, je vais en dire quelques mots mais à travers une vue très particulière : la notation musicale.

Donc au détour d’une petite promenade dans le parc Ditan, j’ai croisé plusieurs groupes de musiciens traditionnels.

D’abord petite présentation des instruments : il y avait essentiellement des erhu (une sorte de mini-violon à deux cordes tenu verticalement sur le genou), des bangu (tambour plat) et un pipa (une sorte de guitare à 4 cordes).

Erhu
Erhu et tambour et cymbale à l’arrière de la vitrine
Pipa

Nous avons l’habitude de voir nos partitions avec des portées de 5 lignes et quelques pattes de mouches qui grimpent et qui descendent ces 5 lignes. Dans notre « méconnaissance occidentalo-centrée »1, nous imaginons peut-être cette notation comme universelle et bien… non… et pas seulement historiquement (la notation musicale actuelle ne s’est lentement développée que depuis le chant grégorien) : notamment la musique chinoise traditionnelle a une notation particulière encore aujourd’hui.

La notation actuelle pour la musique traditionnelle a succédé à la notation gongche en caractères chinois encore utilisée pour de la musique ancienne ou certains opéras. Cette notation actuelle est appelée Jianpu ou « notation musicale chiffrée ». Et elle vient, originellement… de France. Peut-être créée au XVIème siècle pour orgue (par un espagnol), elle fut reprise par J.-J. Rousseau puis popularisée en France au XIXème (notation Chevé). Elle serait arrivée en Chine via le Japon à la fin du XIXème.

Principe simple : les sept notes de la gamme de base sont représentées par les chiffres de 1 à 7, le 0 représentant un silence. Un point au dessus de la note la fait grimper d’une octave, un point en dessous la descend d’une octave.

Au niveau du tempo, de base la note est la noire. Suivie d’un tiret, elle prend un deuxième temps (blanche), deux tirets = blanche pointée, etc. Soulignée une fois, c’est un croche, deux fois une double croche, etc.

François Picard. Les notations musicales en Chine. Rencontres Musique & Notations, GRAME, Mar
1997, Lyon, France. pp.61-74. halshs-01434833

Dans la partition ci-dessus, si l’on part d’une clef de Fa (notée 1=F en début de partition), on retrouve bien le do en 5. Le 5 avec le point au dessus est bien le dos une octave plus haut (portée du haut dans la partition occidentale), celui avec le point en dessous une octave plus bas (portée du bas dans la partition occidentale). La barre sous les deux 5 indique bien deux croches. Et enfin le 3 (La) à la fin, suivi d’un tiret est bien une blanche.

Voici encore un exemple (tiré de Wikipédia):

1=C en début de partition indique bien que 1 est do (suivant la notation anglo-germanique) puis le 3/4 pour la mesure.

Une dernière illustration:

François Picard, “Oralité et notations, de Chine en Europe”, Cahiers d’ethnomusicologie [Online], 12 | 1999, Online since 08 January 2012, connection on 24 September 2024. URL: http://journals.openedition.org/ethnomusicologie/674

La première ligne en Jianpu, la deuxième ligne en Gongche (et une troisième ligne en petit par F.Picard dans une autre forme de Gongche).

  1. Ce qu’en disait Jean-Jacques Rousseau: Il n’y a que les Nations de l’Europe qui sachent écrire leur Musique. Quoique dans les autres parties du Monde chaque Peuple ait aussi la sienne, il ne paraît pas qu’aucun d’eux ait poussé les recherches jusqu’à des Caractères pour la noter. Au moins est-il sûr que les Arabes ni les Chinois, les deux Peuples étrangers qui ont le plus cultivé les Lettres, n’ont, ni l’un ni l’autre, de pareils Caractères. ROUSSEAU Jean-Jacques, 1768, Dictionnaire de Musique. Paris: Duchesne. ↩︎

Ces gens-là – 22

Démographie et économie

Maintenant que j’ai un peu mis le cadre historique jusqu’à la fin du XIXème siècle (voir la série de repères historiques), vous avez peut-être noté que, souvent, les dynasties sont tombées suite à des périodes de catastrophes naturelles. Or, il semble que nous n’en sommes pas loin : il a rarement autant plu à P3kin que cet fin d’été (et pas une petite pluie comme en Belgique), nombreuses inondations dans le sud du pays, vagues de chaleur, … Je ne vais pas faire celui qui aurait une boule de cristal mais…

De plus Mr X. ne semble pas prendre la mesure du mal-être de son économie et ne prend pas les mesures nécessaires. Il ose même prendre des mesures très impopulaires (passer la retraite à 63 ans pour les hommes et 58 pour les femmes – cols blancs – soit une augmentation de 3 ans et de 5 ans à cotiser en plus pour toucher le minimum – de 15 à 20 ans).

Ces derniers jours, j’ai eu l’occasion de parler avec plusieurs occidentaux travaillant pour le secteur privé :

Le pays n’a plus commandé d’Airbus depuis 2022 (mais il y en a encore 800 à livrer…) alors que ma connaissance en vendait en moyenne 100 par an avant le Covid.
Volkswagen restructure dans le pays.
Un agent immobilier d’origine française mais basé sur P3kin, ne voit aucune reprise. Heureusement, depuis quelques années, il s’était tourné vers les ambassades et leurs expats qui est un marché stable. Le marché des bureaux est au plus bas.

Gâteaux de lune

Nous avons nos speculoos et les fameux moules à speculoos qui traînaient dans les cuisines de nos grands-mères et qui sortaient pour la Saint Nicolas. Ici il ont leurs Moon cake (gâteaux de lune 月饼, yuèbǐng) et les moules à gâteaux de lune qui sortent pour la fête de la mi-automne.

Quelques moules aperçu au musée ethnique (voir article sur le parc des cultures ethniques):

Pour revenir sur le premier articulet à propos de l’économie ci-dessus : cette année, les ventes de gâteaux de lune ont chuté de 45 % sur un an. Cependant, une catégorie de gâteaux de lune a vu ses ventes augmenter de 36 %, celle des gâteaux de lune à moins de dix yuans, les plus populaires étant ceux à un yuan.

Pour quelques cheveux blancs…

Vous vous souvenez peut-être de cette vidéo, virale (en Occident) où l’ancien président du pays se fait malproprement mettre à la porte par la nouveau grand leader…

Revoir la vidéo ici par exemple.

Au-delà de la violence du geste et de l’humiliation et des nombreuses analyses des conflits à l’intérieur du parti et de la mainmise de Mr X. sur celui-ci, voici une petite analyse beaucoup plus symbolique mais non pas inintéressante.

Quand on voit photos et vidéos de ce plenum du parti, quand on voit photos et vidéos de Mr X., une chose apparemment anodine peut frapper : pas (ou peu) de cheveux blancs.

Comparez des photos du sénat américain et du XXème plenum du parti; la proportion de cheveux blancs est clairement plus importante au sénat américain.

On ne verra jamais une photo de Mr X. avec des chevaux blancs alors qu’il a 71 ans; à la limite quelques reflets argentés suivant la lumière de la photo.

Qu’est-ce que cela nous dit ?

Le peuple d’ici n’a pas les cheveux qui blanchissent ? Faux. Mais cependant, il est vrai qu’on voit « relativement » peu de personnes aux cheveux blancs. Des explications à cela ? J’en ai déjà données au fil de ce blog et notamment l’âge très précoce de la retraite (55 ans pour les femmes et 60 pour les hommes). Donc ces gens qui ont une retraite souvent maigre, ne sont plus dans la vie active et parfois se retirent à la campagne où le coût de la vie est plus abordable qu’en ville. Seuls les gens qui font moins attention à leur apparence ne se teindront pas les cheveux quand ceux-ci deviendront blancs.

Dans ce pays, le cheveu noir est un signe de santé, de puissance (et de virilité) et donc il est quasi inconcevable pour un dirigeant comme Mr X. de montrer le moindre signe de faiblesse.

« La chaîne de télévision centrale de Chine a montré des images de M. Zhou (ndlr: un ancien membre du Parti arrêté en 2014 pour corruption) faisant une déclaration dans la salle d’audience – montrant pour la première fois ses cheveux blancs plutôt que le noir de jais typique de la plupart des hauts cadres du Parti communiste. »

Alors revenons à cette scène du début et à une interprétation supplémentaire qui peut lui être donnée (et qui ne rejette nullement les autres interprétations « politiques » ou « politiciennes »). La vue de l’ancien président avec des chevaux non-teint et blancs pourrait avoir été vu comme un camouflet : « je montre bien que je suis vieux, comme vous; je vous renvoie à la face un miroir que vous ne voulez pas voir ».

Cette interprétation m’a été donnée par un connaisseur de longue date de la vie chinoise. Elle vaut ce qu’elle vaut mais je la trouvait intéressante à partager.

Ces gens-là – 21

Confucianisme

Je ne sais plus si je l’ai déjà dit ici mais, pour comprendre ce pays, il faut comprendre un concept clef du confucianisme :

« L’homme sage apprend de ses erreurs, l’homme plus sage apprend des erreurs des autres »

Si je suis battu par un ennemi (au plan économique ou politique ou même lors de jeu), je ne vais pas m’étendre sur les forces, fourberies, stratégie, etc. de l’ennemi mais je vais me questionner sur mes propres faiblesses. En gros, le confucianisme pousse assez loin l’introspection sur les échecs et donc plutôt que de rejeter une éventuelle faute sur l’autre, je regarde d’abord et avant tout mes faiblesses par rapport à la situation et j’essaye d’apprendre de l’autre.

Discours de politique globale

Il n’y a pas que chez nous que les discours de politique global semblent vides… Voici un extrait de celui du Plénum du Parti…

D’ici 2035, il faudra instituer complètement un système d’économie de marché socialiste de haut niveau (nrld: c’est quoi un système d’économie de marché socialiste de haut niveau ?), améliorer le régime socialiste à la chinoise, moderniser pour l’essentiel le système et la capacité de gouvernance [..], et réaliser dans l’ensemble la modernisation socialiste. Tout cela servira à jeter les bases solides permettant de faire de la Chine un grand pays socialiste moderne dans tous les domaines au milieu de ce siècle. Pour ce faire, nous devons mettre l’accent sur les points suivants : instaurer un système d’économie de marché socialiste de haut niveau (ndlr: encore !), développer la démocratie populaire intégrale (ndlr: je souligne mais what?), faire de la Chine un pays socialiste puissant sur le plan culturel, augmenter la qualité de vie du peuple, construire une belle Chine, édifier une Chine encore plus sûre (ndlr: je souligne), et améliorer le niveau de direction du Parti et sa capacité à exercer le pouvoir sur le long terme (ndlr: je souligne… comme Biden quoi ?), de manière à pousser en avant la réforme. [..]

Extrait du Communiqué du 3e plénum du XXe Comité central du Parti communiste – Adopté le 18 juillet 2024.

A mon avis, il faut avoir lu les 4 ou 5 tomes de Mr X. (le premier fait 515 pages en Poche… Non, je ne l’ai pas encore lu !) pour comprendre.

PS: au total le mot « socialiste » n’apparaît que 18 fois dans ce texte 🙂 (le texte ne fait que 3- 4 pages).

Démocratie populaire intégrale ?

Voici ce que le texte repris plus haut développe sur la notion de démocratie populaire intégrale :

Le Plénum a souligné que développer la démocratie populaire intégrale constitue une exigence essentielle de la modernisation chinoise. Pour que la souveraineté populaire puisse se traduire de manière concrète et réelle dans tous les domaines de la vie politique et sociale du pays, il faut poursuivre résolument la voie du développement politique socialiste à la chinoise, maintenir et parfaire notre système politique fondamental ainsi que nos systèmes politiques de base et nos systèmes politiques importants, et diversifier les formes démocratiques à tous les échelons. Il est nécessaire de renforcer l’édification institutionnelle garantissant la souveraineté populaire, de parachever le mécanisme de démocratie consultative, d’optimiser le système de démocratie aux échelons de base et d’améliorer le cadre de notre travail en faveur du grand front uni.

Je m’arrête d’abord sur les deux derniers mots qui ont un sens très particulier : le front uni est une stratégie politique et un réseau de groupes et d’individus clés qui sont influencés ou contrôlés par le Parti communiste et utilisés pour faire avancer ses intérêts (en interne et à l’international). On y trouve notamment le réseau des instituts Confucius et, c’est un très sérieux département du Parti qui en est en charge.

Ce que moi je lis à travers ce paragraphe (mais bon, je ne suis qu’un bête petit occidental qui n’a rien compris à Mr X.), et notamment au vu des 2 derniers mots, c’est que la démocratie populaire intégrale est essentiellement un renforcement de l’emprise du politique (sous-entendu du Parti) à tous les échelons.

La sécurité sociale dans un État dit communiste

On pourrait croire qu’une politique dite « de gauche » assurerait une bonne couverture sociale aux citoyens. Ce n’est pourtant pas vraiment le paradis de la sécu ici.

Aujourd’hui, le régime de base de la sécurité sociale est défini par une loi sur l’assurance sociale du 1er juillet 2011, et repose sur cinq piliers : l’assurance vieillesse, l’assurance chômage, l’assurance santé, l’assurance contre les accidents du travail et l’assurance maternité.

Les assurances chômage et accidents du travail et maternité ne concernent que les travailleurs urbains même si des tentatives d’étendre cela aux autres travailleurs, notamment via des cotisations à des « agences d’assurance locales ».

L’assurance vieillesse (ou pension)

Et oui, vous allez rêvez : âge de la pension pour les femmes 55 ans, pour les hommes 60 ans (et 5 ans de moins pour un travail pénible ou dangereux). Mais, on ne touche que 40% à 60% du salaire moyen de la dernière année si 35 ans de cotisation minimum… Plus, en 139 versements mensuels le montant de ce qui a été cotisé. Donc ça peut vite descendre d’où, dans les zones urbaines, de plus en plus d’assurance pension complémentaire.

Le système n’est plus tenable avec la baisse démographique mais l’État hésite à forcer la main (l’exemple français fait-il peur ?).

La retraite (obligatoire) à 55 ans pour les femmes est un frein essentiel à une mixité des hauts postes dans les entreprises et au niveau de l’administration.

Chômage

L’assurance chômage ne couvre actuellement que les entreprises urbaines. Elle dure un maximum de 24 mois pour 10 ans minimum d’affiliation. Il faut un minimum d’un an d’affiliation pour y avoir droit (ce qui est une catastrophe pour les 10 à 12 millions d’étudiants qui sont diplômés chaque année comme nous l’avons déjà souligné). Chez les jeunes, malgré des pénuries de main d’œuvre dans certains domaines, les chiffres officiels parlent de plus de 21% de chômage (un peu plus de 4% sur l’ensemble de la population active).

Le chômage varie de 120 à 150% de l’aide sociale (qui s’élève à 1140 CNY soit moins de 150 EUR/mois).

Assurance maladie

L’assurance maladie se présente essentiellement sous forme de prestations (pas de remboursement), un panier de 41 prestations gratuites dans un hôpital public. Ici encore une distinction entre population urbaine qui a facilement accès à un hôpital public et population rurale, beaucoup plus démunie. Le service de santé de première ligne est quasi-inexistant ici. Seul 6 % des médecins sont des généralistes contre 94 % de spécialistes. Donc le passage par un hôpital est quasi obligatoire.

Prix des consultations dans le secteur public :

  • consultation d’un généraliste à l’hôpital public : 50 CNY (moins de 1 EUR) dans un service classique et 300 CNY dans un service à l’occidentale (dit VIP),
  • en cas d’hospitalisation, le tarif varie en fonction du type de chambre de 180 à 1 500 CNY (20 à 200 EUR).

Prix des consultations dans le secteur privé :

  • consultation avec un médecin généraliste : entre 300 et 1 200 CNY, en fonction de l’urgence et de la condition du patient,
  • consultation chez un spécialiste : entre 600 et 2 100 CNY,
  • nuitée d’hospitalisation : environ 5 500 CNY dans une chambre individuelle,
  • soins dentaires : entre 260 et 460 CNY pour une consultation, entre 6 300 et 7 200 CNY pour la pose d’une couronne.

Dans les pharmacies, il est généralement demandé si le patient préfère prendre un médicament traditionnel ou un médicament de médecine moderne. La médecine traditionnelle est fortement promue.

Suivant son lieu de résidence, ainsi que le type et la gravité de la pathologie, le patient a un reste à charge pouvant atteindre 40 % du coût total.

Maternité

De base, le congé de maternité est de 14 semaines dont 2 avant l’accouchement. Le congé de paternité de 14 jours est obligatoire.

Une employée a droit à une heure par jour pendant les heures de travail pour l’allaitement au cours d’une période d’allaitement d’une durée d’un an à compter de la naissance.

Depuis mai 2021, une politique d’aide et de mesures de soutien a été mise en place pour les couples ayant 3 enfants. Cette mesure comprend des déductions fiscales, des aides ainsi qu’une optimisation de la politique des congés pour garde d’enfant.

Avant la privatisation des entreprises (année 80), chaque unité de production avait un crèche (et une cantine) mais depuis, celles-ci se sont également privatisées (et les cantines sont devenues des restaurant d’entreprise) d’où un important problème de garde des enfants et donc des freins à avoir un deuxième voire un troisième enfant.

Coupez ! … Censuré

Comme dans bon nombre de régimes totalitaires, le cinéma « importé » (ici, on sous-entendra le cinéma occidental – européen et américain) est censuré : soit les films ne sont tout simplement pas admis dans leur ensemble soit certaines scènes des films sont coupées. En voici quelques exemples avec le pourquoi.

Déjà en 1959, la Chine de Mao interdisait le film aux 11 Oscars Ben Hur pour cause de « propagande de convictions superstitieuses, à savoir le christianisme« . Mais cela dura bien après la « libéralisation » entamée en 1982 par Deng Xiaoping. Des films sur le Tibet, prenant position pour un Tibet libre furent bien sûr interdits comme Kundun (1998 de Martin Scorsese) ou Sept ans au Tibet (1997 de Jean-Jacques Annaud) qui s’accompagna de la mise au banc des films avec Brad Pitt, acteur principal. Le Parti essaya aussi (vainement) d’influencer l’Argentine pour qu’elle n’autorise pas le tournage de ce film dans son pays.

Homosexualité

Sans grande surprise, le film Le Secret de Brockeback Mountain (2006 – Ang Lee) qui dévoile l’homosexualité de deux « cow-boys », est interdit (à cause de l’homosexualité). Par contre, les autorités locales ont félicité le cinéaste pour son Oscar du meilleur réalisateur mais en censurant, dans la presse locale, la partie de son discours sur sa propre homosexualité.

Nous avons déjà parlé du film Les Animaux fantastiques : Les secret de Dumbledore dont certaines scènes qui sous-entendaient les amours homosexuelles de Dumbledore ont été coupées.

Mais soyons justes sur ce sujet, en 2015, Les autorités chinoises ont approuvé la diffusion en salles d’un film sur un amour homosexuel, Seek McCartney selon son titre en anglais (« Xunzhao Luo Mai » en mandarin), du réalisateur Wang Chao, l’une des figures du cinéma indépendant chinois.

La nudité « simple » est parfois aussi censurée. C’est ainsi que la fameuse scène durant laquelle Kate Winslet pose nue devant Leo Di Caprio dans Titanic (1997 – James Cameron) a été coupée pour sa sortie en Chine.

L’image du pays et la gouvernance

Plusieurs films seront censurés complètement ou coupés parce qu’on pourrait y voir une critique de la gouvernance du pays. Ainsi, Tomb Raider : le berceau de la vie (2003 – Jan De Bont avec la jolie Angelina éponyme 🙂 ) laissait entendre, que le pays avait un gouvernement absent et était contrôlé en sous-mains par des sociétés secrètes.

Les Infiltrés (2006 – Scorsese), qui a remporté l’Oscar du Meilleur réalisateur, a carrément été interdit. Motif ? Le film a eu l’outrecuidance de suggérer, au détour d’un dialogue, que le gouvernement chinois pourrait faire usage d’une frappe nucléaire contre Taïwan… Oh les vilains !

Avatar (2009 -James Cameron) fut censuré pour l’évocation de l’expropriation en masse de millions de chinois lors des campagnes d’urbanisation lancée par le gouvernement chinois à travers l’exode des « Na’vis » dans le film. Le film représenterait également un concurrent sérieux pour les films de propagandes à la gloire du Parti.

Plus étonnant, Bienvenue chez les Ch’tis fut interdit de diffusion. Danny Boon s’en explique parce qu’il incarne un fonctionnaire qui boit de l’alcool

Le film Fight Club (1999) a dû attendre plus de 20 ans avant d’être visible sur la plateforme de streaming chinoise Tencent Video mais la sortie a été assortie d’un bon coup de ciseau au montage. La censure a coupé l’intégralité du plan final du long-métrage pour le remplacer par un message expliquant que « la police a arrêté tous les criminels [ndlr: dont des chinois], réussissant ainsi à empêcher la bombe d’exploser. Après le procès, Tyler a été envoyé dans un hôpital psychiatrique pour y recevoir un traitement. Il a été libéré en 2012. »

Pseudo-sciences, zombies et autres sorcelleries

Retour vers le futur (1985) fut interdit car il allait à l’encontre des lois… de la physique…

Dans la même veine, Pirates des Caraïbes : le Secret du Coffre Maudit (2006) a été interdit parce que tout ce qui a trait à la sorcellerie, spiritisme, morts-vivants, fantômes, etc… est banni des écrans. (De plus, le personnage de Chow Yun-fat, s’est fait censurer pour véhiculer une image trop caricaturale des Chinois). Il en fut de même de World War Z (2013) et ses montagnes de zombies (sans parler de Brad Pitt à l’affiche).

Le film Babe, le cochon dans la ville (1998 – George Miller) a été interdit. A l’époque, le bureau de censure avait exhumé une vieille interdiction : les films mettant en scène des animaux parlants étaient tout simplement proscrits. Cela valut également pour Jean-Christophe & Winnie (2018) mais ici, il y a plus : Winnie l’ourson a servi de caricature au Grand Leader actuel sur les réseaux sociaux… Du coup, les dessins animés de Winnie l’ourson ont aussi été interdits.

Compromission ? 

La nudité, la promotion du jeu, de la pornographie ou de la violence font partie des thèmes à éviter si l’on veut infiltrer le gigantesque et donc lucratif marché chinois du cinéma. L’image du pays aussi est sacrée. Le remake de Karaté Kid en 2010 en a fait les frais : après des négociations laborieuses, sa sortie fut finalement interdite en Chine au motif que le méchant était chinois !

Pas de sexe, pas de violence, pas de scènes pouvant heurter la sensibilité du pays… La mission semble impossible. (A propos, dans Mission: Impossible III (2006), la scène montrant un homme jouer au Mah-jong, jeu traditionnel chinois, à côté d’une pièce dans laquelle un otage est emprisonné, a été coupée).

Sauf que l’enjeu est tel (un milliard de spectateurs potentiels, ça motive !) que les studios américains sont prêts à tous les compromis, y compris à ce que des « consultants » chinois interviennent sur les films encore à l’état de scénario. Par exemple, dans le film Pixels (2015 – Chris Colombus), Pac Man échappé d’un jeu vidéo devait grignoter Shanghai. Mauvaise idée selon les consultants, suivis par les scénaristes qui ont transporté l’action aux États-Unis.

De plus en plus d’acteurs (scénaristes, producteurs et autres…) du monde du cinéma hollywoodien font appel à ce genre de consultants et pratique donc une sorte d’auto-censure préventive…

Précisons que seules quelques dizaines de productions externes (34 exactement) sont admises dans les salles de cinéma du pays chaque année et que les coproductions sont soumises à d’intéressantes clauses dans leurs contrats : un contrat type pour monter un projet en partenariat stipule qu’il faut «respecter les us et coutumes de la nation chinoise, l’histoire de la Chine et son enthousiasme patriotique». Aucune scène ne doit aller «à l’encontre de la politique étrangère et des intérêts d’État de la Chine sous quelque forme que ce soit».

Jobs, jobs, jobs

En cette période pré-électorale où les slogans fleuriront à nouveau, rappelons-nous celui-ci proposé par notre cher ami Charlie : « Jobs, jobs, jobs… »

Et donc donnons quelques idées à nos politiciens sur des petits jobs qu’on trouve ici.

Les rues ici sont très propres (même si les gens jettent tout et n’importe quoi n’importe où) mais des petits balayeurs sont tout le temps là avec leur balai en bambou. Ils balayent même les grosses flaques en temps de pluie (très rares). Bon, quand c’est la neige qui tombe, c’est directement l’armée qui débarque pour déblayer les rues et trottoirs (et pas forcément avec le matos adéquat, j’en ai vu, sans pelle, déblayer avec un morceau de vitre…). Les petits balayeurs ont beaucoup de boulot en automne à balayer toutes les feuilles tout le temps. Il n’y a aucune feuille qui traîne au sol dans les rues et sur les trottoirs (sauf des lumières qui font des feuilles lumineuses sur le sol !)

Et que dire de ces deux employés « communaux » qui nettoient les barrières le long de la rivière…

Ou encore ces check-points (comme dans les aéroports, pour les bagages à main) au niveau de chaque entrée de chaque station de métro (min. 4 entrées par station et entre 20 et 50 stations par ligne et une quinzaine de lignes) qui chacun mobilise entre 3 et 6 personnes…

Parlons-en des gardes : partout. Dans les métros, restons-y, il y a 3 ou 4 gardes par rame plus quelqu’un à sa guérite qui vérifie que tout le monde rentre bien dans le métro (même si une double porte automatique devrait empêcher un maximum d’accidents).

Et dans le complexe d’immeuble où j’habite (qui est un complexe tenu par l’État) il y a deux entrées (gardées) mais une bonne trentaine de gardes en tout. Et quand, par deux fois, j’ai eu besoin d’un plombier, ils sont venus à 2 (pour remplacer un seul robinet !)

Une étape plus loin, le Parti propose maintenant aux grandes entreprises de développer une milice « privée » (Départements des Forces Armée du Peuple) pour aider lors des crises… Un héritage du Covid où certains confinements dans les entreprises ont menés à des manifestations… Mais aussi une militarisation accrue de la société et un contrôle encore plus fort.