Je vais peut-être en choquer plus d’une ou plus d’un mais plus je vis ici, plus j’essaye de comprendre cette culture, cette civilisation, plus je suis loin de la nôtre et, quelque part, ainsi, je peux prendre du recul par rapport à d’autres cultures/civilisations plus proches géographiquement de la nôtre (la culture musulmane, la culture juive, …), plus j’ai des doutes sur la possibilité de peuples différents de pouvoir un jour se comprendre.
Rien que la langue, dont chacune est d’une richesse incroyable mais également chacune reflet d’une culture, d’une façon de penser, est une barrière infranchissable, sauf pour quelques happy few qui maîtriseraient plus d’une langue. Attention, je parle bien de maîtriser au sens où l’on peut comprendre les subtilités de l’autre langue, ce qui est, même pour des gens bilingues, trilingues, voire plus, réservé à une toute petite minorité de spécialistes (traducteurs, interprètes, linguistes voire quelques personnes vraiment élevées dans deux langues… et encore pour cette dernière catégorie, j’ai des doutes). J’en veux pour preuve, désolé Marie et Chloé, le grec ancien : plusieurs spécialistes pensent que malgré nos connaissances, nous ne comprendrons jamais vraiment Aristote, Platon ou Homère, certains termes qu’ils utilisent ayant sans doute une signification qu’il ne nous est plus possible de comprendre, vivant aujourd’hui dans une environnement bien éloigné du nôtre…
Si on ajoute à cela une couche d’idéologie politique ou religieuse, le tout dans une marmite historique propre à chaque peuple… La sauce entre deux peuples peut très difficilement, pour ne pas dire jamais, prendre.
Prenons un mot tout simple (hé ! hé !) comme le mot démocratie. OK, j’avoue, ce mot est loin d’être simple et depuis au moins Platon, philosophes, politiciens et autres cherchent à le définir. Mais ce mot a son importance tant chez nous qu’ici. Pourtant, il recouvre d’un côté et de l’autre des réalités bien différentes.
Dans un autre vie, dans un autre siècle, quand j’étais étudiant, je me suis penché quelque peu sur ce qui fut quelque fois qualifié de Printemps de P3kin soit les événements de 1989 notamment à la place T. (événements qui n’ont jamais existé ici, entendons-nous bien !)*. Bien sûr les étudiants réclamaient plus de démocratie mais qu’est-ce que cela signifiait pour eux ? Ici la démocratie n’est pas le gouvernement par le peuple comme on l’entend chez nous et comme on nous l’explique à l’école. Les gens d’ici n’oseraient pas réclamer cela (ils ne connaissent pas ce concept là, ils ne l’ont jamais vécu dans leur longue histoire). Le démocratie ici devrait s’appeler aristocratie au minimum, soit au sens grec du terme « le pouvoir par les meilleurs », et qui sont ses meilleurs ? Pour ces étudiants (et d’autres avant eux comme lors de la Révolution de 1911), ce sont les lettrés, les gens instruits, ont dirait plus simplement l’élite intellectuelle. Pour d’autres, ici, aujourd’hui et depuis 1949, ce sont les gens membre du Parti. Le dernier plenum du comité central vient de publier un communiqué où il parle (dans le même paragraphe) de démocratie populaire intégrale (c’est quoi c’te chose là ?) et d’améliorer la capacité du Partie à exercer le pouvoir sur le long terme. Donc, oui, ils considèrent qu’ils vivent dans une démocratie Mais tout dépend ce qu’on met derrière le mot démocratie…
Et ceci n’est qu’un exemple.
Encore un ?
Je n’ai pas eu l’occasion d’en faire une photo (car je suis à chaque fois passé devant en voiture) mais le long du 2ème ring, il y a un grand panneaux (en anglais et plus loin en chinois), rouge, très officiel, avec les mots « Freedom » (liberté), « Rule of Laws » (État de droit), « Harmony », …
La Liberté ?! Les gens d’ici se sentent apparemment libres (notamment de dire ce qu’ils pensent). Je ne comprends pas. Parle-t-on de la même liberté d’expression que celle que nous pouvons vivre (plus ou moins) en Europe occidentale ? État de droit ?! Quel est le sens de cette expression ici où un parti a les pleins pouvoirs, peut arrêter quelqu’un (ou faire le « disparaître ») sans justification ? Où il n’y a aucun contre-pouvoir ? Où la presse est muselée et aux ordres du parti ? Où les élections (générales) n’existent pas ?
Autre exemple voisin : pour essayer de comprendre un peu les ressentiments de ce pays-ci par rapport à son voisin (et ennemi) japonais, j’ai lu un ouvrage très intéressant du hollandais Ian Buruma, Wages of guilt, qui témoigne (plus qu’analyse) de la différence de gestion de l’après-guerre (Seconde Guerre mondiale) en Allemagne et au Japon. On y apprend notamment que les quelques (rares) procès qu’il y a eu au Japon, n’ont pas eu le retentissement de celui de Nuremberg, le Japon (et l’Asie de l’Est) n’ayant pas du tout le même sens juridique que l’Occident; que le ressentiment par rapport aux Américains « envahisseurs » était encore présent certainement jusqu’au début de ce siècle-ci (même si officiellement ce sont des alliés dont on a un temps copié le mode de vie); que le Japon se sent victime de la guerre plus que coupable notamment avec Hiroshima et Nagasaki (tu quoque, « vous aussi vous l’avez fait ! ») et enfin que pour le Japon, c’était une guerre « juste », une guerre de libération de l’Asie par rapport aux puissances occidentales (les Chinois n’ont pas du tout la même perspective, ayant subi certaines atrocités de la part des Japonais). Bref, un ensemble d’incompréhension qui n’apparaissent pas du tout aux yeux d’un occidental via l’image qu’on a du Japon mais qui me confirme dans mon idée d’une incompréhension fondamentale et sans doute quasiment infranchissable.
Via vos réactions à ce blog, notamment, et par nos discussions quand je rentre en Belgique, je me rends compte du nombre impressionnant de « préjugés » (pas au sens péjoratifs du terme) que nous, simples citoyens d’Europe occidentale, avons par rapport à ce pays. J’espère en avoir déconstruits certains (là, sur le coup, je pense à la « zenitude » des temples bouddhistes que j’ai très rarement trouvée ici, je pense à tout ce rapport à la nourriture, à l’idée d’une économie qu’on imagine encore en pleine croissance, au consumérisme à outrance, etc.).
Et donc, je crois, de plus en plus, que tout ce qu’on peut espérer de peuples et de cultures différentes, n’est pas une compréhension mutuelle, ni une intégration des valeurs des uns ou des autres mais au mieux une coexistence pacifique et un respect mutuel.
- * A propos de la visite de cette place, tout le monde est bien sûr fouillé à l’entrée et notamment il ne faut pas s’y présenter avec un papier blanc (une simple feuille A4 blanche). Pourquoi ? Parce que lors des manifestations de novembre 2022, les étudiants sont sortis avec ce genre de feuilles blanches… « C’est [..] une réponse aux autorités : ‘Allez-vous m’arrêter pour avoir tenu une pancarte ne disant rien ?' » explique sur Twitter le correspondant de la BBC, Stephen McDonell.